La chronique de Patrick Pilcer
00H48 – samedi 5 octobre 2024
On attendait, on attend beaucoup de Michel Barnier et de la « rupture » qu’il souhaitait incarner.
Mais pour le moment, sur le budget qu’il est en train de peaufiner, force est de constater que la célèbre phrase attribuée à Albert Einstein, « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », s’applique malheureusement toujours parfaitement.
Notre dérapage budgétaire, jamais vu depuis le début de la Vème République, est essentiellement dû à la conjonction de trois facteurs, que nous aurions pu anticiper.
Tout d’abord nous sommes en déficit primaire depuis 50 ans. Autrement dit, même sans compter la charge des intérêts liés à notre dette abyssale, nous dépensons, structurellement, bien plus que ce que nous gagnons, contrairement à de nombreux pays. La dépense publique est largement au-dessus de nos recettes fiscales, cela dure et s’amplifie année après année.
Deuxièmement, avec la hausse des taux qu’a décidé la BCE depuis deux ans, nous endetter nous coûte plus. Même M de Lapalisse le sait. Sans revenir sur ce qui me paraît relever d’une erreur de compréhension de la situation économique par la BCE, la Banque Centrale pensait lutter contre l’inflation en montant les taux d’intérêt. Or, cette inflation était due à des éléments exogènes sur lesquels les taux d’intérêts n’avaient que peu de prise.
Par exemple, la fin de la pandémie a entraîné un redémarrage simultané des économies partout dans le monde, d’où un effet de goulot d’étranglement, et une hausse des prix. De même la guerre lancée par la Russie sur l’Ukraine a entraîné une hausse des matières premières. Deux situations qui sont en train de se résorber et sur lesquelles la hausse de taux n’a que peu d’effets.
Par contre ces hausses des taux successives, et trop importantes, ont d’une part ralenti toute l’économie européenne et d’autre part ont renchéri le coût de notre endettement. Merci Christine Lagarde et la BCE
Troisièmement, la France demeure incapable d’augmenter son taux de croissance, contrairement à de nombreux pays là encore. Nous n’arrivons pas à créer plus de richesse, nous stagnons, et cela se voit dans nos rentrées fiscales. Cette incapacité à créer plus de richesses devient un Mal Français, un problème là encore structurel, nous chutons dans les classements sur notre capacité à générer de la croissance, une chute corrélée à celle des classements PISA d’ailleurs, sur l’état de notre système éducatif. Si nous avions créé plus de richesses, nous aurions perçu bien plus de TVA et d’impôts sur les sociétés, nous aurions augmenté plus nos salariés, qui du coup auraient consommé plus, une boucle vertueuse s’il en est.
Rien de tout cela. Nous ne pouvons pas grand-chose sur la politique de la BCE, indépendante a priori, mais nous avons un zéro pointé sur la création de richesse et sur notre nécessaire équilibre budgétaire, sur notre solde primaire.
La rupture que devrait incarner Michel Barnier doit se situer précisément là, sur notre capacité à ne pas dépenser plus que ce que nous gagnons comme sur notre capacité à créer plus de richesses.
Et bien non, on nous ressasse les poncifs habituels : « on va taxer les plus riches », « on va augmenter les impôts des grandes entreprises »… rien de nouveau sous le soleil, quelle déception !
Nous avons besoin de réformes structurelles et Michel Barnier nous propose des taxes « exceptionnelles », conjoncturelles… Nous refaisons les mêmes choix, les mêmes erreurs et nous aurons les mêmes résultats, toujours plus de déficit et toujours moins de croissance !
Même sur le Travail, la déception est grande. On souhaite « désmicardiser », faire en sorte que le travail paie plus et éviter les trappes à bas salaires. On ne peut que partager ces constats. Et que fait-on ? On envisage de relever les cotisations sur les salaires à hauteur du SMIC ! On rêve les yeux grand ouverts !
Sur le Travail, le Gouvernement s’appuie sur le rapport Bozio/Wasmer commandé par Elizabeth Borne. Un rapport intéressant, technique, mais avec quelques biais. Tentons de rester digeste.
Ce rapport de statisticiens dresse un tableau utile du coût du travail. Mais on ne peut que souligner, au moins, deux biais.
Premièrement, pour ses auteurs, et ils l’écrivent noir sur blanc dès leur table des matières, « Les exonérations de cotisation bénéficient en premiers lieux aux employeurs de salariés proches du Smic ». Pour les auteurs de ce rapport, ce sont les employeurs qui bénéficient des exonérations… une approche quasi-idéologique. Par définition, les exonérations bénéficient aussi bien aux employeurs qu’aux salariés. Pourquoi pointer les employeurs comme seuls bénéficiaires ?
A brut équivalent, si je diminue les cotisations, le salarié touchera plus ; il bénéficie de cette exonération. L’entreprise décide de ses salaires bruts, c’est ce qu’elle paie réellement, elle ne décide pas du salaire net, issu d’un calcul avec des variables qui changent souvent. Si les cotisations baissent, le gagnant n’est pas l’entreprise mais le salarié. Pourquoi ne pas dire que les salariés sont les grands gagnants des exonérations de cotisation et au contraire souligner, dans le titre, dans la table des matières, que ce sont non pas d’ailleurs les entreprises mais les « employeurs » ? un biais idéologique ?
De même, les auteurs de ce rapport soulignent que pour qu’un salarié puisse percevoir 100€ de plus, cela implique un coût pour l’entreprise jusqu’à 497€. Là encore la présentation est biaisée, et il faut lire tous les commentaires des graphes et tableaux du rapport pour comprendre que ce chiffre est la somme du coût supplémentaire pour l’entreprise (environ 250/300€), avec l’impôt sur le revenu supplémentaire potentiellement payé, et surtout la perte des aides perçues par le salarié, aides qui dépendent des revenus perçus, comme essentiellement la prime pour l’activité que le salarié aurait perçue. On somme quelque part des choux et des carottes…
D’ailleurs les journalistes qui relaient la parole gouvernementale se font avoir sans le savoir. Pour beaucoup, ceux qui n’ont pas lu toutes les lignes du rapport, une hausse des salaires de 100€ entraîne un coût pour l’entreprise de 500€, ce qui est faux, mais nous l’entendons partout depuis une semaine. Cela permet au Gouvernement de braquer les projecteurs sur les cotisations salariales et patronales, et non sur tous les éléments du coût supplémentaire.
Le Gouvernement pourrait agir sur l’impôt sur les revenus, en modifiant par exemple la déduction forfaitaire de 10% sur les salaires et pensions, en la passant à 11, 12 ou 13%, et en plafonnant différemment cette déduction. Le Gouvernement pourrait agir sur la CSG sur les salaires et revenus de remplacement, avec une exonération sur les 500 premiers euros par exemple (compensée par une hausse de la Tva bien sûr).
Le Gouvernement pourrait modifier les règles sur la prime d’activité. Non, il pointe le doigt sur les cotisations. Pire, il envisage de remonter les cotisations sur les salaires à hauteur du SMIC et baisser celles autour de 1,5 SMIC.
S’il acte en décision ce qui ne semble être qu’une proposition de réflexion, le Gouvernement va en fait alourdir brutalement le coût du travail pour toutes les entreprises ou diminuer le SMIC net perçu. Il pense, par ce petit tour de passe-passe, bien sûr, augmenter ses recettes, mais au bout du compte, c’est l’activité économique au sens large qu’il va toucher. Il va freiner la croissance, diminuer notre capacité à créer des emplois, et augmenter encore nos déficits. Décevant !
Nous étions sur une bonne trajectoire de lutte contre le chômage et nous pouvions viser le plein emploi, c’est fini ! La politique du Plein emploi permettait de donner plus de travail, de diminuer ainsi le chômage, de contribuer grandement à améliorer nos équilibres budgétaires avec plus de recettes sur les salaires et sur la consommation et moins de dépenses sociales ! Mettre un terme à la recherche du Plein Emploi, ne plus en faire un objectif de notre politique, nous fera sortir de notre belle trajectoire de lutte contre le chômage, l’un des rares succès de la Présidence Macron, et cela augmentera nos déficits ! Navrant ! Ce n’est pas là la rupture tant attendue…
Au final, le Gouvernement Barnier s’apprête à reprendre les mêmes vieilles recettes que tous ses prédécesseurs. S’il veut obtenir des résultats, vraiment, différents, il lui faut opter pour une vraie rupture, s’attaquer de front aux dépenses publiques, repenser entièrement l’Etat, son périmètre, son efficacité, sa performance, son coût, et parallèlement, en même temps, tout faire pour que nous puissions produire plus, créer plus de richesses, avoir plus de croissance.
Monsieur le Premier Ministre, il n’est pas encore trop tard…
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