« Un objectif de gain fixe de 10% par année » d’un côté, une surenchère de l’autre avec « un objectif de gain de 15 % dès la première année, sous conditions et en contrepartie d’un risque de perte en capital ». Les placements « à formules »ou « produits structurés » dans le jargon financier (appelés familièrement placements « à promesses ») sont à peu près aussi impossible à comparer que les abonnements téléphoniques car ils sont bourrés d’option, toutes différentes. Côté pile, l’espérance d’un gain fixe retient l’attention, mais il est conditionnel. Le capital est aussi protégé, mais aussi sous conditions. Côté face, il y a autant de risques de ne rien gagner que de perdre beaucoup.
Des formules aléatoires
Les placements à promesses rassurent psychologiquement, alors qu’ils sont plus qu’aléatoires. Avec ces produits, on sait, ou on croit savoir ce qu’on aura. Notre cerveau est attiré par les certitudes, auxquelles il attache plus d’attention que leurs revers. Résultat, on s’attache moins à évaluer ce qu’on n’aura pas, ou ce qu’on risque de perdre, par un mécanisme psychologique qu’a étudié Daniel Khaneman, prix Nobel d’économie en 2002. Or, la possibilité de gain qui retient l’attention des épargnants a peu de probabilité de se réaliser.
Très rémunérateurs pour les banques et leurs distributeurs, les derniers produits structurés sont présentés comme une « alternative à un placement dynamique risqué de type actions », sauf qu’ils sont quasiment l’inverse. En achetant ces produits, les épargnants jouent un rôle d’assureur des banques en cas de krach : ils encaissent des primes tant que les marchés montent et s’exposent aux plus fortes pertes en cas de retournement, comme en 2002 et en 2008.
Un exemple : « Target France Octobre 2018 », un placement à promesses vendu jusqu’à la fin du mois par Adequity, marque de la Société générale. Il promet un gain de 10% par année dès lors que l’indice boursier « SBF Top 80 EW Decrement 50 points » dépasse son niveau de fin octobre 2018 à chaque anniversaire, fin octobre. Si ce niveau n’a été battu à aucun anniversaire au bout de dix ans, et que l’indice a perdu moins de 15%, on aura quand même les 10% par année, ce qui équivaut à 7,16% annualisés, avant frais et fiscalité, car ils seront versés après dix ans sans capitalisation des intérêts. Si l’indice a perdu plus de 15% et moins de 50%, on a zéro gain et zéro perte en dix ans, sauf bien sûr les frais de l’assurance-vie s’il est acheté dans ce cadre, et la perte de pouvoir d’achat liée à l’inflation. Enfin si l’indice perd plus de 50%, c’est pour la pomme de l’épargnant : il subit l’intégralité de cette perte.
Pour comprendre l’équité du pari, on peut le lire du côté du vendeur, ce qui donnerait ceci : « prêtez-moi votre argent pour acheter les 80 premières actions françaises, si l’indice a monté à l’anniversaire de notre contrat, je vous rembourse avec un coupon de 10%, mais je garde les plus-values des actions et leurs dividendes pour moi; on remets ça chaque année ; tant que l’indice ne monte pas, j’encaisse les dividendes sur un capital emprunté à 0%, et s’il s’écroule d’au moins 50% je n’aurai rien perdu, puisque c’est vous l’épargnant, qui prenez le risque ».
Quand les voyants sont au vert, tout va bien, mais…
Certes, jusqu’ici tout va bien. Si l’indice CAC 40 ne rebaisse pas d’ici à la fin de décembre, il alignera quasiment huit années de hausses consécutives (incluant le repli de 0,5% en 2014), depuis la dernière forte baisse liées à la crise de l’euro en 2011 et 2012. Du coup, le palmarès de ces placements est flatteur. Beaucoup sont remboursés rapidement avec des gains plus qu’honorables par rapport à l’assurance-vie sans risque, ce qui facilite leur promotion.
Pourtant, même dans des marchés en forme, c’est un peu à pile ou face selon le niveau et la période à laquelle on achète. Les souscripteurs du placement « Adequity rendement avril 2015 » en font l’expérience. Ce placement promettait un coupon annuel de 6% avec remboursement dès que l’indice Euro Stoxx 50 dépasserait son niveau initial de 3616 points constaté le 30/4/2015, à l’un de ses anniversaires jusqu’à son échéance de dix ans. Depuis trois ans et demi, l’indice Euro Stoxx 50 est passé plusieurs fois au-dessus de ce niveau, flirtant avec les 3700 points le 1er novembre 2017, mais jamais à son anniversaire le 30 avril…
Les souscripteurs n’ont donc encore rien gagné ni perdu. Leur capital est stérilisé jusqu’à ce que la pièce retombe, du bon ou du mauvais côté. S’ils avaient investi à la même date dans le tracker Euro Stoxx 50 de Lyxor, un autre placement de la Société générale qui suit l’indice des 50 premières actions européennes, sans protection, ils auraient une moins-value potentielle de 8,7% au 20/9/2018, mais ils auraient encaissé 12,5% de revenus cumulés grâce aux dividendes depuis mai 2015, avant impôts mais frais de gestion inclus.
Les dividendes sont le nerf de la guerre pour ces produits, car ils financent les gains promis, ajustés selon la durée du placement et le niveau de protection. « Plus les coupons sont élevés, moins on a de protection en cas de baisse », prévient Clément Lemaire, directeur du développement d’Irbis Finance, une société qui conçoit des produits structurés sur mesure. Pour un placement à dix ans basé sur l’Euro Stoxx 50, on pourrait par exemple monter un produit avec 6,5% de coupons et une protection du capital jusqu’à 40% de baisse, ou des coupons réduits à 3%, proches des 3,4% de dividendes de l’Euro Stoxx 50, avec une protection du capital jusqu’à 60% de baisse.
Attention aux contrefaçons
Il faut surveiller les indices choisis pour ces produits, qui sont souvent de mauvaises copies mimant la performance d’indices boursiers connus, mais avec un boulet aux pieds. On vous vend des indices MSCI Euro 50 Select 4,75% Decrement, Euro iStoxx70 Equal Weight Decrement 5% ou Euro iStoxx EWC 50, comme ayant une « quasi corrélation avec l’indice Euro Stoxx 50 ». Il s’agit d’ersatz d’indices moins performants, à cause du « decrement », ou diminution en français, filouterie inventée pour la cause.
Prenons l’indice Euro iStoxx 50 Decrement 5%. Il copie l’indice Euro Stoxx 50 Gross Return, c’est-à-dire l’indice des 50 premières valeurs européennes dividendes inclus, mais en le diminuant de 5% par an, soit bien plus que les 3,4% de dividendes du vrai indice Euro Stoxx 50 GR. Résultat, l’indice Euro iStoxx 50 decrement est en baisse de 4,17% sur dix ans, au 20/9/2018, alors que le vrai indice Euro Stoxx 50, sans les dividendes, est en hausse de 5,41%. Ces 10% d’écart peuvent anéantir la protection du capital. Un placement avec protection du capital jusqu’à 50% de baisse de l’indice Euro iStoxx 50 Decrement, ne sera en fait protégé que jusqu’à 40% de baisse du vrai indice Euro Stoxx 50.
Les illusions perdues des placements à promesse ont nourri des litiges de masse lors des derniers krachs, quand les souscripteurs ont découvert leurs revers. « Beaucoup d’épargnants se sont fait avoir par ces produits à formule qui leur étaient présentés comme des alternatives plus rentables que leurs placements sûrs, alors qu’ils n’étaient ni rentables ni sûrs, comme l’ont montré les préjudices causés par les fonds Bénéfic de la Banque postale, Ecureuil Europe et Doubl’Ô des Caisses d’épargne, ou BNP Garantie Jet 3, pour ne citer que quelques exemples » observe Me Hélène Feron-Poloni.
Avec son associé, Me Nicolas Lecoq-Vallon, ils ont obtenu la condamnation de banques et d’assureurs à indemniser des victimes de ces miroirs aux alouettes, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2008 contre les fonds Doubl’Ô de l’Ecureuil. Et la société de gestion du groupe Banques populaires Caisses d’épargne, Natixis AM rebaptisée « Ostrum », a encore écopé l’an dernier de 35 millions d’euros d’amende, pour avoir détourné 15,6 millions d’euros dans les fonds à formule de ses clients, 15,8 millions de frais de gestion non indiqués et 16,1 millions d’euros de dépassement.
Le fabricant suisse de produits structurés EFG International, rebaptisé Leonteq, est aussi dans le collimateur des avocats Lecoq-Vallon & Feron-Poloni, pour avoir vendu aux épargnants un placement à formule du type « qui gagne perd ». Comme beaucoup, il promettait un gain alléchant en cas de hausse, ou une perte en cas de forte baisse. Problème, les souscripteurs ont perdu alors qu’ils auraient dû gagner, car les cours indiqués dans le contrat étaient faux ! Les niveaux retenus pour les actions de référence de ce produit, au 19/10/2012, sont plus de deux fois et demi supérieurs à leurs vrais cours ce jour-là ! Résultat, alors que les hausses de ces titres auraient dû déclencher le gain promis, Leonteq les a transformées en pertes abyssales. Très sales même.
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