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Par Justine Benoit le 27.02.2023 à 11h32

DOSSIER. Les finances publiques de la France sont dans le rouge et la dette frôle les 3.000 milliards d’euros. Pour rééquilibrer les comptes, de plus en plus de députés visent les multiples niches fiscales. Coût pour l’Etat chaque année: 89 milliards d’euros. Alors le président doit-il s’attaquer aux tabous fiscaux? La rédaction de Challenges vous propose une sélection d’articles pour plonger au cœur de ce sujet. 

Crédits d'impôt illustration

Ces vingt dernières années, les exonérations, taux réduits et crédits d’impôts se sont multipliés: le manque à gagner pour l’Etat représente ainsi 89 milliards d’euros par an, contre environ 44 milliards en 2000. 

Le mois de février touche à sa fin, et pourtant: aucune trace des assises des finances publiques. L’événement, placé sous l’égide du ministère de l’Economie et des Finances, a, en fait, été repoussé aux alentours du début du mois d’avril. Objectif: faire « un point d’étape » sur une revue des dépenses publiques, assurait mi-février une source de Bercy à l’AFP.

Le 5 janvier, à l’occasion de ses vœux aux acteurs économiques, Bruno Le Maire avait annoncé l’organisation de revues annuelles afin d' »engager à nouveau le rétablissement des finances publiques ». Le ministre de l’Economie et des Finances avait alors ciblé les dépenses de l’Etat, les collectivités et les administrations sociales. Avec une dette publique qui frôle les 3.000 milliards d’euros, la France serait bien encline à réduire ses dépenses, fortement plombées par le « quoi qu’il en coûte » de la crise Covid et des plans de soutiens aux ménages français.

Le gouvernement cherche à faire des économies? Cela tombe bien, car de nombreuses voix s’élèvent chez les députés pour dénoncer… les niches fiscales. Plus de 450 dispositifs de crédits d’impôts existent, pour un coût de 89 milliards d’euros à l’Etat chaque année. Dans le Budget 2023, six niches fiscales ont été remises en cause par l’exécutif. Héritage, aides à domicile, immobilier… Certains politiques estiment qu’il est possible d’aller plus loin, et qu’il le faut.

D’autant plus que pour rééquilibrer les comptes, Emmanuel Macron s’est fixé une ligne rouge: hors de question d’augmenter les impôts des Français, même des plus riches. Hors de question aussi de taxer les superprofits des grandes entreprises du CAC 40, TotalEnergies en tête, malgré des bénéfices records qui se chiffrent parfois en milliards.

Les grandes fortunes (vraiment) intouchables?

Emmanuel Macron, « président des riches »: l’étiquette lui colle à la peau depuis 2017. En cause, la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et l’instauration d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30% sur les revenus et gains du capital. Depuis, la pression pèse sur le président pour taxer les grandes fortunes. Plus de sept Français sur dix souhaitent d’ailleurs le retour de l’ISF, selon un sondage exclusif d’Harris interactive pour Challenges daté d’août 2022, véritable symbole de justice sociale. Cette musique a refait son apparition plus forte que jamais à l’Assemblée nationale, lors des débats sur la réforme des retraites. Mais les économistes eux-mêmes sont divisés sur cette mesure…

Et si Emmanuel Macron taxait plus fort l’héritage, qui contribue là encore aux plus fortunés? Selon un rapport fin 2021 du Conseil d’analyse économique (CAE), rattaché à Matignon, le tiers des plus modestes n’hérite de rien, alors que les 0,1% des plus riches reçoivent près de 13 millions d’euros (180 fois l’héritage médian). Pendant sa campagne de réélection, Emmanuel Macron avait pourtant affiché la volonté d’augmenter le plafond d’exonération des droits de succession, de 100.000 à 150.000 euros par enfant. Projet repoussé sine die…

Dans le système actuel, Patrick Artus, conseiller économique de Natixis, pointe aussi ce déséquilibre lié à l’héritage. La taxation sur les successions étant faible, elle accentue la concentration des patrimoines. Notre éditorialiste prône ainsi une meilleure redistribution, et souligne l’importance de réintroduire un impôt sur les patrimoines élevés. Tout en concédant qu’il y a peu de chances qu’il en soit ainsi.

Les classes aisées plus favorisées?

Le crédit d’impôt pour l’emploi à domicile est dans le collimateur de la député socialiste Christine Pirès Beaune. A une mesure qui doit « servir d’abord aux personnes dépendantes et à la garde d’enfants » s’est greffé le coaching sportif, voire le gardiennage de résidence secondaire. Selon un rapport parlementaire, les 10% de Français les plus riches se sont partagés 48% des montants versés par l’Etat dans le cadre de l’aide à domicile en 2020. La députée a réussi à obtenir une première victoire en octobre 2022: les contribuables vont devoir indiquer la nature des dépenses dont ils demandent le remboursement, lors de leur déclaration de revenus. Avant un serrage de vis? Les professionnels de l’aide à domicile mettent en garde contre une mesure qui favoriserait le travail non déclaré. 

Faut-il alors regarder du côté de l’assurance-vie? Selon l’Insee, 65% de cette épargne est détenue par les 10% des Français les plus fortunés. Et les avantages fiscaux qui sont liés correspondent à un manque à gagner de 1,5 milliard d’euros pour les finances de publiques chaque année. Sauf que l’Etat y trouve aussi son compte. 

Une politique du logement coûteuse et inefficace?

L’immobilier est également à la source de nombreuses niches fiscales: plus d’une soixantaine jalonnent la politique du logement de l’Etat. Les plus importantes d’entre elles représentent un manque à gagner de 4 milliards d’euros par an, soit un dixième du budget de la politique du logement. Elles sont d’ailleurs dans le collimateur du ministère des Finances, car jugées inefficaces. La plus décriée est la niche dite « Pinel », qui accorde une réduction d’impôts pour l’investissement dans du neuf mis en location à loyer plafonné. Problème: il ne permet pas de créer des logements là où les demandes sont les plus fortes. Face à la menace de sa suppression, les professionnels du bâtiment agitent le risque de l’effondrement des constructions.

Autre facteur d’inégalités, les « valeurs locatives cadastrales », qui servent de base de calcul aux taxes foncières, d’ordures ménagères ou ce qu’il reste de la taxe d’habitation. Sauf qu’elles n’ont pas été révisées depuis 1970… Et si le gouvernement a fini par se saisir du sujet, le Budget 2023 vient de renvoyer la révision des valeurs locatives… à 2028.

Des entreprises trop gâtées?

Les entreprises sont loin d’être en reste concernant les crédits d’impôt. Elles bénéficient depuis 40 ans d’un crédit d’impôt recherche (CIR): une baisse d’impôt égale à 30% de leurs dépenses de recherche (jusqu’à 100 millions d’euros par an, puis 5% au-delà). Le dispositif est pourtant décrié depuis toutes années, car bénéficiant aux grands groupes. Ceux de plus de 5.000 employés en reçoivent plus du tiers. Au détriment des petites entreprises, alors que le rendement du CIR y est meilleur: un brevet déposé par million d’euros de CIR perçu, deux fois plus que les grandes entreprises. Dans les prochaines semaines, des élus entendent mettre la réforme du CIR sur la table, à l’occasion du plan de réindustrialisation verte voulue par le ministère de l’Economie Bruno Le Maire.

Le crédit d’impôt recherche régale les grands groupes, mais serait plus profitable aux PME

Pas du côté des allègements de cotisations salariales. Sur les bas salaires, cette mesure a bien un impact sur le chômage et la compétitivité. Mais au-delà d’1,6 Smic, elle coûte 4 milliards d’euros à la Sécurité sociale par an, sans réel effet. Mais lorsque les députés tentent d’y remédier, même au sein de la majorité, ça coince…

Retrouvez ci-dessous l’intégralité du décryptage de Laurent Fargues
Cotisations patronales: des allègements de charges sociales trop généreux

Si certains veulent réduire le nombre de niches fiscales, d’autres souhaitent en créer de nouvelles. C’est le cas du député LFI de Paris Aymeric Caron, qui défend l’idée d’une niche fiscale à destination des propriétaires de chats et chiens. Objectif: lutter contre les abandons d’animaux « pour raisons financières », explique-t-il à Challenges. Affaire à suivre.